Hiérarchie et positions ou hierarchie fonctionnelle vs hierarchie humaine

Cet article est inspiré au départ d'un post du blog https://le-coup-doeil-qui-inspire.com sur la comparaison hiérarchie verticale/ hiérarchie horizontale, que je rapporte ici mais que j'ai largement étayé et élargi avec mes réflexions personnelles.

Je me permets de préciser en préambule que ce qui m'intéresse dans ce post c'est de questionner la hiérarchie humaine : chaque société développe des implicites sociaux, des façons de fonctionner ensemble, qui en général impose insidieusement (ou au grand jour) un rapport de supériorité/infériorité  entre les individus dans la société civile autant que dans le monde professionnel.
Je distingue cette hiérarchie humaine de la hiérarchie fonctionnelle (= hiérarchie décisionnelle) nécessaire au fonctionnement d'un groupe/d'une structure (le dirigeant, le chef, prend les décisions afin que la structure puisse fonctionner) sauf cas spécifiques de type coopératif.

1/ Le statut hiérarchique dans notre société (= hiérarchie verticale)

L’humain cherche en permanence à structurer ce qui l’entoure, pour lui permettre de visualiser un monde tangible, se repérer. La hiérarchie est une de ces nombreuses croyances, qui permettent à l’être humain de structurer sa vie. Elle est un outil, qui comme tout outil indispensable a été dévoyée, par le penchant de l'homme à la domination et à l'individualisme {...}
La vision actuelle de la hiérarchie au sein du monde professionnel et privé, se résume comme suit :

Plus vous êtes haut, plus vous êtes puissant, et admirable. Vous détenez les responsabilités, ceci qui vous met dans une position de dominant.

Ceci sous entend qu’il existe des domaines admirables et puissants, et d’autres non. C’est du moins ce que résume vulgairement une hiérarchie verticale. Et c’est ce que vit et croit une grande partie de la population actuelle.

Au sein, d’une entreprise, de la société, la décision est prise par la personne qui a la responsabilité. Aux yeux de tous, c’est le chef. Mais ce que nous oublions, c’est que dans tout poste, dans tout rôle que l’on joue au sein de la société nous avons nos responsabilités. Sans la contribution du bas de la hiérarchie, le haut n’est plus rien.

On pourrait alors dire que le pouvoir appartient réellement au bas de l’échelle ? Mais ce serait ce fourvoyer dans un nouveau déséquilibre. Car le pouvoir est dans tous les cas le résultat de compétences partagées par un ensemble de personnes.

C’est d’ailleurs comme ceci qu’une entreprise fonctionne aujourd’hui, et qu’elle fonctionnera demain. La seule différence qui transformera l’entreprise et la société de demain, c’est la perception que nous avons de cette hiérarchie et le changement de perception des "places" des individus que cela engendrera (voir point 3/ sur la hiérarchisation humaine)

2/ La hiérarchie horizontale

La hiérarchie horizontale n’est dans le fond pas différente de la hiérarchie verticale. En revanche, dans la forme elle est totalement différente. Le positionnement humain qui en découle est radicalement différent.

Nous sommes chacun né avec des compétences, des capacités innées qui nous distinguent les uns des autres. Ça c’est ce qui nous singularise et contribue à notre force. Mais notre vie ne se résume pas à ça. Nous avons aussi notre libre arbitre, nos capacités de décision et d’analyse qui ne peuvent nous être enlevées et qui forment notre responsabilité.

La responsabilité d’un groupe ne repose pas seulement sur une paire d’épaules. Mais sur l’équilibre d’un groupe d’humains aux capacités diverses.

Lorsqu’un opérateur dit qu’il n’est là que pour exécuter, ce n’est pas vrai. Il est victime d’une croyance qu’il entretien en continuant d’agir comme ça. Il a la responsabilité de ce qu’il met en œuvre, et de l’impact de ce qu’il met en œuvre.

La hiérarchie horizontale est la retranscription de ce que nous sommes lorsque nous arrivons sur terre. Une personne qui a ses propres capacités, son libre arbitre, ses responsabilités.
Il n’existe pas de hiérarchie verticale en dehors de nos têtes : c'est d'ailleurs une organisation culturelle qui varie selon les époques et les lieux comme nous le verrons un peu plus loin. Il existe simplement des personnes aux compétences diverses, qui, lorsque nous les réunissons dans le respect et la considération de tous sont capables des plus grandes prouesses.

3/ Comment fonctionne un système ?

Tout le monde est important au sein d’un système. La perception occidentale d’une hiérarchie verticale ne correspond pas à une réalité, car la chaîne a besoin de tous ces maillons pour exister. 

Cette question est fondamentale car nous allons voir que la hiérarchisation verticale entraîne une hiérarchie dans les compétences, les secteurs, les activités, qui débouchera in fine sur une hiérarchisation humaine.

Notre société fonctionne aujourd'hui avec une hiérarchisation des compétences : les compétences intellectuelles sont plus valorisées que les compétences manuelles ou techniques; les compétences de la sphère professionnelles (travail) plus valorisées que celles de la sphère privée (maison/enfants, monde associatif, art), les compétences dédiées à la finance, au profit plus valorisées que celles tournées vers le social, le soin, l'aide à la personne.
Ces différenciations sont doublées d'autres échelles de valeur : celle du grade (vous êtes cadre ou employé), celle du secteur (les "sciences dures" vs les humanités, ou la finance vs la musique, par exemple), celle géographique (Paris/province ou ville/campagne) etc. La liste est longue.

Tout ceci indique bien qu'une hiérarchie verticale n’existe pas seulement au sein d'une organisation fonctionnelle (prise de décision - organisation structurelle) mais qu'elle est présente partout et que, sans nous en rendre compte, nous hiérarchisons les activités des personnes selon un système de valeur dicté par la société et communément accepté par tous (à quelques nuances près). Ce système de valeur découle in fine sur
une hiérarchisation des personnes (hiérarchisation humaine) : certains sont donc implicitement considérés avoir un statut supérieur, d'autres inférieur, ce qui entraîne
qu'ils se sentent ou sont considérés comme tels.
S'il est maintenant interdit d'utiliser la couleur de peau ou le sexe pour cette classification (grâce à de longues et violentes batailles...) il est clairement établit et implicitement accepté que certaines positions professionnelles ou positions sociales font que les acteurs qui les occupent se sentent et/ou sont considérés comme supérieurs ou inférieurs
aux autres.

Il convient alors de se poser la question du critère : quels sont les critères qu'une société (ou groupe) établit pour hiérarchiser ainsi les compétences, les statuts (et par conséquent les personnes) ?

Il convient tout d'abord de remarquer que ces critères varient en fonction des époques : il aurait été impensable, à une certaine époque, de considérer les métayers ou esclaves comme les égaux de leurs maîtres; être une femme ou noir faisait de vous un être inférieur jusque très récemment.
Ces critères varient aussi en fonction des cultures : en France c'est souvent la position sociale ou le "grade", et c'est en général le diplôme qui va définir ce grade
(il est intéressant de noter que dans certains pays la différenciation cadre/non cadre n'existe pas); aux US c'est l'argent que vous arrivez à gagner (how much money you make) indépendamment du diplôme qui vous confère une place supérieure; dans certaines tribus africaines ce sera la force physique, au Tibet la sagesse...
Ces variations des critères de classification entre qui est supérieur et qui est inférieur prouvent bien que nous ne parlons pas d'une vérité universelle ou tangible, mais bien d'une perception, d'implicites sociaux, qui sont à géométrie variable, selon les lieux et les époques.

Une réflexion sur la hiérarchisation des humains ne serait pas exhaustive si l'on n'envisageait pas aussi le critère de "l'intelligence"... critère ultime de qui se sent supérieur aux autres.
Mais comment mesure-t-on l'intelligence ?
Votre diplôme reflète-t-il votre intelligence ? L'école et l'éducation supérieure fait-elle appel à l'intelligence ou juste à une certaine forme d'intelligence ? (Pierre Bourdieu vois même dans cela une forme de racisme).
Est-ce la capacité à mémoriser ? à analyser ? à calculer ? Y a-t-il une ou plusieurs intelligences (voir théorie des intelligences multiples d'Howard Gardner) Ou c'est la capacité d'adaptation aux situations qui serait signe d'intelligence ? La capacité à vous relationner avec les autres ? Votre créativité ? Ou bien la capacité à vous remettre en question (autocritique) et à opérer des changements ? À suivre les évolutions de votre époque ? à anticiper les choses et vous y préparer ? Les grandes écoles (type ENA, ENS) forment-elles et sélectionnent-elles des personnes plus intelligentes que les autres ? L'autodidacte qui créé une petite entreprise avec une réelle valeur ajoutée pour la société, est-il moins intelligent qu'un Énarque car il n'a pas fait d'étude ? Le maçon ingénieux qui arrive à résoudre n'importe quel problème de tuyauteries et fait un travail impeccable est-il intelligent par son agilité et son ingéniosité ? Plus ou moins que le chercheur en littérature ? L'empathie ne peut-elle pas être considéré comme la qualité la plus utile aux relations humaines et à la société et donc par là la forme d'intelligence la plus respectable ? Il n'y a pas de réponse à ces question si ce n'est que toutes ces qualités ou capacités ou compétences sont des formes diverses d'intelligence, qu'elles sont toutes dignes de respect et surtout complémentaires pour le bon fonctionnement d'un groupe, d'une entreprise, d'une société.

4/ Conséquences sur les relations sociales:

Cette question du supérieur, du plus intelligent, du spécialiste a des conséquences évidentes sur la position, de la place de chacun : comment nous positionnons-nous dans un dialogue ? dans une réunion ? dans un échange ? Comment acceptons-nous notre positionnement d'inférieur ou signifions-nous notre position de supérieur ? De subtiles tournures de phrases, façons de saluer, expressions du visage ou du langage corporel vont s’immiscer dans les dialogues entre êtres humains, au sein des organisations (entreprises, famille, groupes d'amis, associations etc), comme marqueurs de cette hiérarchisation humaine qui s'infiltre dans tous nos échanges.
Mais quelles conséquences ont ces habitudes de positionnement dans notre société ? Quelles conséquences opérationnelles (dans le monde professionnel) / conséquences humaines (dans le monde personnel) ?
Cette hiérarchisation (arbitraire on l'a vue) est-elle humiliante pour ceux qui sont classés comme "inférieurs" ? Est-elle un frein au développement d'une société plus respectueuse, inclusive, coopérative ?

Je vois dès le prime abord trois problématiques découlant de cette hiérarchisation :  

- peu de créativité pour la résolution des problèmes, appauvrissement des apports d'idées, ralentissant l'avancée des projets et situations figées, car considérer ceux qui ont d'autres compétences comme inférieurs bloque l'apport de points de vue différents qui enrichiraient au contraire la discussion et l'évolution des sujets (cf exemple de Bertrand Picard à la fin de cet article).

- tendance à se regrouper par catégories socioprofessionnelles découlant de cette hiérarchisation : comment se mélanger harmonieusement si les uns se sentent supérieurs et les autres se sentent inférieurs ? La résultante est que la société est scindée en sous-groupes qui ne se côtoient pas, et par conséquent n’évoluent pas (entre soi)

- situation humiliante pour ceux qui se sentent déconsidérés parce que leurs compétences ont été arbitrairement étiquetées comme "moins importantes", "moins intelligentes"... inférieures à d'autres, créant des fractures dans la société qui la fragilise grandement (cf mouvements sociaux de plus en plus fréquents et violents). Quelles conséquences sur le long terme ?

Ainsi il semble important de déconstruire ces hiérarchisations en cascades et que la hiérarchisation horizontale que certaines entreprises (jeunes) appliquent dans leur organisation fonctionnelle, soit élargie à l'ensemble de nos rapports humain, professionnels ou privés : que nous puissions échanger avec le même respect et/ou le même ton simple avec la femme de ménage qui nous aide (oh combien !), qu'avec l'informaticien de notre entreprise, qu'avec une vendeuse, qu'avec notre chef, qu'avec le DG que nous aurions l'occasion de croiser, qu'avec un SDF, qu'avec notre député ou  une actrice croisée par hasard.

En guise de conclusion je voudrais citer quelques exemples :

- les activités qui sont clairement apparues comme indispensables lors du confinement général au début de la pandémie du Covid 19 (mars 2020), sont les professions techniques, manuelles, de type logistiques ou de service à la personne. Or ces professions sont déconsidérées socialement (et financièrement) et ces employés sont considérées comme inférieurs dans la hiérarchie sociale aujourd’hui. Leur apport au fonctionnement de base de la société étant absolument indispensable, ne devrait-il pas faire d'eux au contraire des personnes très valorisées ? (le but de ma réflexion n'étant pas d'interchanger des supérieurs par d'autres supérieurs, je veux simplement les considérer comme équivalents, mais ce qui change tout dans le rapport humain)

- un élu (député, conseiller régional) est communément considéré comme quelqu'un d’important, comme un supérieur : on lui parle en général avec déférence. Or ne pourrait-on pas rétorquer que c'est l'élu qui est en fait "au service" des autres puisqu'il a été élu par ses administrés ?

- à l'Université le chercheur est supérieur au personnel de type administratif: il n'y a pas forcément de hiérarchie fonctionnelle ("N+1") entre les deux, mais la hiérarchie humaine est palpable. Pourquoi ? Les compétences de recherches sont-elles plus valables, plus importante dans un fonctionnement global d'une université que celles techniques ou administratives ? Ne sont-elles simplement pas indispensables toutes deux ?

- une auxiliaire de vie qui garde une personne très âgée est l'employée de cette personne. Pourtant pour être harmonieuse et équilibrée, la relation qui doit s'établir doit être autre qu'une balance inférieur-supérieur et se jouer dans une hiérarchie horizontale.

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