Nathalie Gontard, opposante au « grand emballement » plastique
La
chercheuse de l’Inrae, spécialiste des emballages écologiques, dénonce
les fausses promesses du recyclage de ce matériau omniprésent et
dangereux pour la santé (par Marie-Laure Théodule - Le Monde 15/03/2023)
Un homme
singe corpulent se débat, empêtré dans un film plastique qui l’étouffe.
Vaincu, il finit par s’écrouler lourdement sur la scène. A côté de lui,
pendant qu’il pousse ses derniers cris, une élégante femme blonde, frêle
mais décidée, ponctue l’épisode d’une voix chantante où perce l’accent
de son Ardèche natale : « Le plastique de votre barquette de frites,
qu’il soit ou pas recyclé en chaise de jardin ou en sac de sport,
viendra forcément grossir l’énorme réservoir de petites particules
capables d’empoisonner nos corps et surtout ceux des générations à
venir. » Une étonnante prestation pour une directrice de recherche à
l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et
l’environnement (Inrae) ! « J’en avais assez de seriner que le recyclage
du plastique est un leurre, avec l’impression de ne pas être entendue.
J’essaie de toucher le public par l’émotion », se justifie Nathalie
Gontard, pionnière de l’emballage alimentaire écologique. Elle s’est
ainsi produite avec deux comédiens au festival Bioviv’art, à Alénya
(Pyrénées-Orientales), en août 2022.
Trente-cinq ans de recherche
autour de la mise au point d’emballages alimentaires respectueux de
l’environnement l’ont conduite à travailler sur le recyclage et les
risques de la pollution aux particules de plastique. Depuis l’enfance,
elle a une conscience écologique aiguë, forgée dans un milieu très
simple, à la campagne. Seule de sa famille à obtenir le bac, elle
enchaîne par un DUT en génie biologique à l’université de Montpellier.
« Je voulais faire des études courtes et travailler vite, car mes
parents n’avaient pas d’argent. » Mais Blas Tarodo de la Fuente,
professeur en sciences des aliments et des bioproduits, la repère. Ce
sera son mentor. Il l’inscrit à l’école d’ingénieurs Polytech
Montpellier, puis la pousse vers la recherche.
Barquettes en amidon de manioc
Attirée
par le secteur des emballages alimentaires, elle entre au Centre de
coopération internationale en recherche agronomique pour le
développement (Cirad), où elle restera de 1988 à 1998. A cette époque,
elle est fascinée, un peu comme tout le monde, par le plastique, ce
matériau souple, résistant et économique, si utile pour conserver les
aliments. Mais elle s’interroge déjà sur sa persistance. Que
deviendra-t-il une fois usagé ? Elle qui vient d’un monde rural, où les
déchets organiques servent de fertilisants, perçoit l’étrangeté d’un
produit qui ne se dégrade pas dans le milieu naturel. Sa thèse, soutenue
en 1991, porte d’ailleurs sur les films plastiques biodégradables.
Le
Cirad lui permet de voyager en Afrique et en Amérique du Sud, parfois
avec sa fille, née en 1994, sous le bras. Elle découvre la richesse de
filières traditionnelles qu’elle essaiera vainement de défendre contre
l’invasion du plastique : les emballages en feuille végétale, dont
certains changent de couleur quand le produit s’abîme. Au Brésil, elle
met au point avec une petite équipe une barquette biodégradable en
amidon de manioc, mais qui résiste mal à l’eau. En 1993, des producteurs
de bananes en Guadeloupe font appel à elle : ils ne savent plus quoi
faire des sacs et des bâches en plastique qu’ils utilisent pour protéger
leurs plantations. Des milliers de lambeaux sales qui jonchent le sol.
Elle réalise avec stupeur l’ampleur du problème des déchets et son
incapacité à le résoudre.
En 1999, son professeur et mentor, qui
part à la retraite, l’encourage à reprendre son poste. A 35 ans, elle
devient la plus jeune professeure nommée à l’université de Montpellier.
Immédiatement, elle crée son laboratoire, consacré au développement des
emballages écologiques, et y recrute surtout des femmes. « Des collègues
masculins nous appelaient le poulailler », se souvient-elle. « Elle est
très attachée à défendre la place des femmes dans le monde
scientifique. Elle nous laisse une grande latitude pour concilier vie
professionnelle et familiale », apprécie Hélène Angellier-Coussy,
spécialiste des matériaux, qui a rejoint son équipe en 2005.
Cependant,
à peine arrivée à l’université, la nouvelle professeure vit une
expérience angoissante. Dans son bureau baigné de soleil, elle manque de
s’étouffer après avoir déchiré le film en plastique oxodégradable
emballant une dizaine de revues scientifiques. Ces « oxo », vendus comme
écologiques à l’époque, sont des polymères auxquels on a ajouté deux
additifs pour qu’ils se fragmentent plus vite au contact de la lumière.
Mais, malgré les allégations des pétrochimistes, ils ne se dégradent pas
naturellement dans le sol. Ils seront interdits dans les emballages
en 2015.
Pour la jeune scientifique, l’épisode « oxo » sera
décisif. Il la pousse vers la dénonciation des fausses promesses et la
recherche d’alternatives véritablement écologiques au plastique. Un
chemin difficile, mais pas de nature à arrêter cette combattante. « Le
plastique n’est pas biodégradable. Il se décompose en éponges minuscules
qui absorbent les polluants sur leur passage. Un processus inexorable
qui peut durer des siècles. Les déchets finissent en nanoparticules
capables de franchir la barrière biologique, donc de s’accumuler dans
nos organes et de perturber leur bon fonctionnement », dit-elle
En 2008,
elle rejoint un groupe de travail de l’Autorité européenne de sécurité
des aliments (EFSA) qui planche sur le recyclage des plastiques
alimentaires. Après des années d’intenses travaux, le groupe rend son
verdict : seules les bouteilles d’eau en PET (polyéthylène téréphtalate)
recyclé peuvent être mises sur le marché sans risque pour la santé. Et
encore, dans la limite d’un ou deux recyclages, car le matériau se
dégrade au cours du traitement. Le reste, soit 98 % des emballages
alimentaires, n’est pas recyclable à l’identique, sous peine de
contaminer les aliments.
« On peut seulement les incorporer à des
produits (tables, vêtements, pots de fleurs, etc.) qui ne seront plus
recyclables. Ce faisant, on alimente une filière qui a besoin du
plastique vierge en amont et crée de nouveaux déchets en aval », dénonce
Nathalie Gontard. Quand en 2018 la nouvelle stratégie européenne fixe
un objectif de 100% d’emballages en plastique réutilisé ou recyclé pour
2030, elle s’insurge, quitte l’EFSA et décide la même année de rétablir
la vérité dans les médias : « Tous les plastiques, même recyclés,
finiront en déchet », explique-t-elle dans les colonnes de
l’hebdomadaire Le 1.« Le recyclage total est un leurre »,
confirme-t-elle sur le plateau de « Cash Investigation ». Puis elle
consacre un livre au sujet, Plastique. Le grand emballement (Stock,
2020). « J’admire sa détermination à s’exprimer en public sur les
impacts à long terme du plastique même si cela dérange », approuve
Hélène Angellier-Coussy.
Projet de bioraffineries en cascade
En
parallèle, elle poursuit ses travaux sur la mise au point d’une filière
industrielle de substituts écologiques au plastique à l’Inrae, qu’elle a
rejoint en 2011. Elle coordonne successivement trois grands projets
européens, tous dans l’écoconception de substituts (énergie,
fertilisants, biomatériaux) aux produits de la pétrochimie à partir de
résidus agricoles. Le dernier qui vient de démarrer – AgriLoop,
trente-deux partenaires et 10 millions d’euros de budget – vise
notamment à mettre au point des bioraffineries en cascade : placées les
unes derrière les autres, elles travailleront avec les déchets de la
précédente afin d’optimiser le processus. Elle se sent parfaitement à
l’aise dans ce contexte international, qui lui a valu à deux reprises
d’être lauréate du trophée « Etoiles de l’Europe » (2015 et 2021).
Toutefois,
le chemin vers le lancement de la filière écologique industrielle dont
elle rêve est long. « Aujourd’hui, je n’ai pas de produit miracle à
annoncer », reconnaît-elle. Mais les progrès sont là. Par exemple, à
Vérone, en Italie, la société Innoven a construit une unité pilote grâce
à deux grands projets européens qu’elle a coordonnés (Ecobiocap et
NoAW) : à partir de résidus agricoles (fumier, paille) et par
méthanisation, l’usine produit en sortie du méthane, des fertilisants et
des PHA (polyhydroxyalcanoates), un substitut biodégradable du
plastique. Une barquette avec ce matériau est en cours de finalisation
par son équipe à Montpellier, notamment pour la rendre facilement
lavable en machine et recyclable à l’identique.
« En attendant
les substituts, il existe une solution encore plus simple : réduire
notre consommation », martèle la combattante. C’est, selon elle, la
meilleure façon de limiter les monceaux de déchets plastiques –
12 millions de tonnes en 2019 en Europe pour les emballages non
incinérés – dont on doit redouter la toxicité.
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