Egalité - Équité

Je lis une étude passionnante sur "le genre" : le féminin- le masculin, la place des hommes et des femmes, les rôles dans la société....
Il y a beaucoup à dire, voici une première approche :

Dans cette entreprise de la reproduction de l'espèce humaine il y a deux pôles, deux "rôles" nécessaires et complémentaires :
le pôle productif (production de nourriture) et le pôle reproductif (reproduction c'est à dire : mise au monde des petits puis protection et aide au développement de ces petits qui sont - pour l'humain - extrêmement fragiles et très lents à acquérir une autonomie).

Traditionnellement le pôle productif (chasse dans les temps primitif, travail à l'extérieur de la maison aujourd'hui) est tenu par l'homme et le pôle reproductif par la femme. Il est facile de comprendre pourquoi dans la 1ère année de vie de l'enfant mais passé les 9 mois de gestation et les 1ers mois d'allaitement, ce rôle  pourrait techniquement être tenu par l'un ou l'autre !
(cette idée d'une distinction originelle de la répartition des tâches masculines productives à l'extérieur du foyer et des tâches féminines reproductives réalisées dans la sphère domestique est d'ailleur largement remise en question = voir note nº1*)

Au delà de ce constat d'asymétrie, émergent et/ou perdurent des inégalités entre les deux sexes face aux emplois, à la violence, à la survie et même au droit à la vie (cf le scandale des femmes manquantes = voir note nº2*) qui montre bien que l'on est femme ou homme dans une famille, dans une culture, dans une région spécifique du monde. Plus que des différences biologiques de sexe, c'est l'ancrage dans un système de genre qui marquent les destins. La détermination génétique du sexe nous fait naître fille ou garçon, le système de genre nous fait devenir homme ou femme (dès la naissance, le contact du  bébé avec le monde est marqué par son appartenance sexuelle, à travers les vêtements, les jeux, les livres et plus largement les attentes de la famille, de la société et même de l'école). Si l'on s'intéresse à ces modalités de la construction du genre, conçue comme élaboration culturelle de la différence sexuelle, on arrive vite à dénoncer les inégalités entre les deux sexes, afin de réaménager durablement les représentations et les rôles assignés à chacun des deux genres.



Au centre des évolutions des théories sur le genre, se situe le débat égalité/différence.
Arrêtons nous un moment sur ce que signifie cette "égalité" que les mouvements féministes ont défendu, en la fondant sur la similitude (equality = sameness) : l'égalité réelle serait atteinte à travers la neutralité de genre mais, de fait, elle a toujours été acquise par l'assimilation des normes masculines dominantes !!!

Cela s'est traduit par une participation des femmes dans le pôle productif (travail des femmes) mais très peu par la participation des hommes au pôle reproductif (nous connaissons tous des femmes travaillant dans des domaines réputés "masculin" et dont l'activité est en tout point égale à celle d'un homme, mais combien y-a-t-il de familles dans la quelle la femme travaille à l'extérieur et l'homme s'occupe de la maison et des enfants ?). La thématique du partage des tâches productives et reproductives entre hommes et femmes et du pouvoir de décision dans les ménages est donc ce à quoi il faut réfléchir pour arriver à trouver une réelle "égalité". Il s'agit alors de dépasser une égalité fondée sur des critères de nature patriarcale et une notion de différence qui oppose le masculin et le féminin. Il faut concevoir les genres dans une approche de "bien-être", rendant compte de l'apport des femmes dans les domaines traditionnellement perçus comme masculins, questionnant la participation des hommes dans la reproduction, tenant compte du travail domestique non rémunéré et des activités bénévoles.
La notion d'égalité devient alors indissociable de celle d'équité : un objectif d'égalité respectant les spécificités, ne pouvant être atteint que par un traitement équitable, avec le souci d'organiser la société selon des principes qui tiennent compte des disparités entre ses membres qu'ils soient nés homme ou femme en visant le partage des rôles et la liberté de choisir le pôle vers lequel on oriente sa vie.
Équité de chances face droit à vivre (cf note nº2*), face aux droits d'accés aux soins et liberté de choix d'orientation entre son implication dans le pôle productif ou dans le pôle reproductif dans la société.

D'après "Développer le genre en démographie" - C. Sauvain-Dugerdil et M.P. Thiriat

Complément : 

Extrait de l'émission "A Contre-Courant" sur Elisabeth Badinter :


"Ça ne veut pas dire qu'ils sont identiques, ça veut dire qu'ils se ressemblent plus que jamais dans l'histoire de l'humanité. "L'un est l'autre" ce n'était pas seulement une analyse de l'identité masculine et féminine, c'était aussi le constat que seul ce modèle universaliste de la ressemblance des sexes permettait d'envisager l'égalité. Parce que quand on est dans l'autre optique, c'est à dire celui de la complémentarité (l'un est ce que l'autre n'est pas) alors le monde extérieur est aux hommes avec le pouvoir, la réussite, l'épanouissement professionnel et intellectuel, et de l'autre coté il y a le monde privé, familial qui appartient aux femmes. Et à chaque fois on se retrouve avec le problème de l'inégalité, voilà. Donc le seul moyen d'en sortir c'était bien la voie que nous prenions : associer les hommes et les femmes dans les rôles et les fonctions."


*Note nº1 = la paleanthropologie remet en question l'idée d'une distinction originelle de la répartition des tâches masculines productives à l'extérieur du foyer et des tâches féminines reproductives réalisées dans la sphère domestique. Le mythe du valeureux chasseur risquant sa vie au loin, laissant les femmes au foyer s'occuper des enfants et allant à la cueillette aux alentours du campement, est battu en brèche par le fait que les premiers humains n'étaient pas des chasseurs mais des charognards et que c'était la cueillette qui était la principale source de nourriture, tâche réalisée par les hommes ET les femmes. La réalité biologique fait que l'homme doivent passer par les femmes pour se reproduire et que l'enfant a besoin de sa mère. Mais la femme a aussi besoin de la collaboration de l'homme pour protéger et nourrir ce petit humain si longtemps dépendant. Cette interdépendance serait à la base du "contrat sexuel" de nos lointains ancêtres et de cette nécessité d'alliance durable qui est à l'origine du couple.

* Note nº2 = Le souhait de la naissance d'un garçon et la dévalorisation des filles, largement répandus dans de nombreuses sociétés, ont conduit à l'élimination plus ou moins active des bébés féminins et des petites filles par infanticide, abandon ou manque de soins. La diminution de la taille des familles a exacerbé cette préférence pour les garçons et l'accès aux nouvelles technologies permettant de connaitre le sexe du foetus a donné les moyens de la mettre en oeuvre de façon dramatiquement efficace, en entrainant un vaste mouvement d'avortements sélectifs des bébés féminins. Les travaux de A.Sen (1989/1992/1999) ont contribué à faire connaître ce scandale des "femmes manquantes" qui s'accroît depuis les anées 1980. Selon les estimations des démographes dans les années 1980, ce n'est pas moins de 60 à 95 millions de femmes qui ne sont jamais nées ou ont disparu durant leurs 1eres années; dans les années 1990 le phénomène s'est accru et le nombre de "femme manquante" atteindrait entr 65 et 110 millions (en valeur cumulée). (ce nombre est estimé en constatant la différence entre le nombre de femmes enregistrées dans les recensements et le nombre attendu selon les
caractéristiques démographiques de la population. Celles-ci sont estimées à partir d'un modèle
de population stable, correspondant au niveau d'espérance de vie, de fécondité et de structure par âge du pays concerné. On peut alors calculer le nombre attendu de femmes par groupe d’âges. Dans les
estimations de Klasen et al., (2002) basées sur les données des recensements les plus récents,
deux poids lourds émergent, la Chine et l'Inde, avec respectivement 40,9 et 39,1 millions de
femmes manquantes, puis 4-5 millions au Pakistan et au Bangladesh, comme pour le groupe
des pays de l'Asie de l'Ouest et pour l'ensemble des pays d'Afrique subsaharienne et enfin
autour du million pour l'Égypte, l'Iran et l'Afghanistan. Ce qui est moins connu, c'est que, en
termes de pourcentage, c'est l'Afghanistan qui vient en tête avec 9,3 %, suivi de l'Inde et du
Pakistan (7,9 et 7,8 %), puis le Bangladesh et la Chine (6,6 et 6,7 %) et Taïwan, l'Égypte et
l'Asie de l'Ouest (4,7, 4,5 et 4,2 %)). En Inde en 1872 un quart de la population tuait la moitié de ses filles !! Les femmes manquantes et leur impact en termes de surplus d’hommes et d'évolutions
démographiques sont maintenant l'objet d'une abondante littérature qui contribue à sensibiliser des milieux de plus en plus larges. La grande question qui se pose actuellement est celle des conséquences à venir du déficit de femmes. On estime que, en Chine par exemple, l’accroissement du sex ratio (le nombre relatif de femmes et d’hommes dans une population est mesuré par le sex ratio, ou rapport de masculinité, c’est-à-dire le nombre d’hommes pour 100 femmes) va engendrer un surplus de 40 millions d'hommes en 2020. Si l’écart d’âge entre époux se maintient autour de deux ans, quelques 23 millions d’hommes nés entre 1980 et 2001 pourraient ne pas trouver de femmes (Poston et Glover, 2005). Devenue rare, la femme va-t-elle être plus valorisée ? Il est probable qu'un premier effet sera une plus grande diversité des écarts d'âge entre conjoint et le remariage des veuves qui acquerront ainsi un nouveau statut.. Mais les premières études évoquent surtout les risques de commerce de femmes, d'exclusion et de montée de la violence. Les hommes épouseront des filles de plus en plus jeunes, les citadins chercheront à attirer les filles des campagnes. Les plus pauvres seront exclus du mariage. La montée du célibat masculin, dans une société où cela n’a jamais été la coutume est porteuse de grands risques. On évoque déjà les problèmes liés à des concentrations masculines telles que dans l’armée et sur les grands chantiers, et les problèmes de violence et de prostitution associés, ainsi que de trafics de femmes entre les campagnes et les villes, et à partir des  pays environnants. Dans le contexte de nouvelle mobilité entre les pays asiatiques depuis le début des années 1990, se développent des migrations féminines à but matrimonial des régions les plus pauvres, en particulier des campagnes du sud du Vietnam, vers la Corée du Sud, Taiwan, Singapour et la Chine.
On doit aussi se demander pourquoi les femmes contribuent à maintenir de telles valeurs et acceptent de renoncer à donner vie à des filles, c'est-à-dire à reproduire leur semblable. En d’autres termes, quelles sont les conditions  qui font que le devoir de donner un fils reste plus fort que le souhait de recevoir une fille ? On constate que, la scolarisation contribue à renforcer les normes patriarcales et la capacité de les mettre en œuvre. Les femmes ont tellement intériorisé les valeurs dominantes qu'elles sont incapables de les remettre en question et usent même de leurs nouvelles ressources pour renforcer les inégalités (Schuler, 2006), ainsi que le montre l'importance des avortements sélectifs parmi les femmes les plus scolarisées. Dans les régions du monde dans lesquelles la femme gagne sa place dans la famille et dans la société en donnant naissance à un garçon, la diffusion de l’accès aux nouvelles technologies ouvre la porte à un recours massif à l'avortement sélectif.



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1 commentaire:

Nicolas le Cuisinier a dit…

C'est drôle (et en même temps pas) mais j'ai une discussion sur "les couleurs et les jouets de filles" la semaine dernière avec mes élèves. C'est incroyable de voir qu'à 5 ans ils sont déjà dans le moule de la société... J'ai essayé de leur faire entendre une autre voix...Peut être que parmi eux un ou une retiendra quelque chose et fera changer le cours de la tradition! En tout cas j'y travaille