Suicide assisté : Jacqueline était heureuse mais voulait mourir, elle militait pour l'Interruption Volontaire de Vieillesse :
"C‘est une chose au fond que je ne puis comprendre, cette peur de mourir que les gens ont en eux. Comme si ce n‘était pas assez merveilleux que le ciel nous ait paru un moment si tendre" (Aragon).
Je veux mourir chez moi, entourée de mes livres de mes photos et de
mes objets familiers. Personne ne pourra m‘accompagner. Pourquoi pas?
Car il y a une loi idiote: non- assistance à personne en danger (ses proches seraient accusés s'ils étaient présents lors de son suicide ndlr).
En
danger de quoi? De mourir? Mais j‘ai l‘âge de mourir. Le danger est de
vieillir encore plus. La dépendance et la décrépitude me font bien plus
peur que la mort. Je ne veux pas devenir plus vieille. C‘est mon choix.
Mon droit aussi. Il est inscrit dans la Constitution, ce droit. Et
pourtant, on ne me permet pas de festoyer, entourée de mes proches. Et
pire encore, si je n‘avais pas le pentobarbital, interdit pour les
humains, mais autorisé pour les chiens – il faudrait que je me jette
sous un train, traumatisant ainsi le conducteur et les passagers. Ou
bien que je fasse comme mon voisin , Romain Gary, me tirer une balle
dans la bouche, offrant le spectacle de ma cervelle éclatée pendant que
je baignerais dans une mare de sang. Est-ce plus légitime que de prendre
le bon barbiturique pour m‘endormir tranquillement?
Par contre, on fait de la pub pour des cercueils, des tombes, des couronnes mortuaires. Et ces pubs vous affirment qu‘il faut préparer sa mort. Ce n‘est pas préparer sa mort que se soucier de son cercueil, puisqu‘une fois dedans, on sera déjà mort. Je ne veux ni de cercueil ni de tombe. Je veux être incinérée et me transformer en plante dans le jardin de mon fils. Si ce n‘est pas possible, ce n‘est pas grave.
Je n‘ai pas eu finalement de m‘exiler pour mourir (projet initial : aller à Bâle où il est légal de demander sa mort ndlr) et j‘ai la chance de pouvoir choisir car j‘ai le bon produit. Pourquoi? J‘y ai pensé en amont. C‘est tout.
Législateurs français, quand allez-vous comprendre que cette liberté n‘enlève rien à personne? Et que cette interdiction me prive, moi, de ceux que j‘aime lorsque le moment est venu pour moi de mourir? Ce moment est très important et je veux le vivre en pleine conscience. J‘ai 78 ans , pas 48, ni 58 ni même 68. C‘est assez, non?
Je ne veux pas assister à ma propre déchéance. Je ne veux pas être déjà mourante pour avoir le droit de mourir. Je suis vieille mais encore lucide et capable de discernement. Je suis trop vieille pour protéger mes enfants. Autant ne pas être une charge additionnelle. Le moment est venu.
Je me suis battue pour des libertés encore fragiles, même si elles semblent acquises: les vrais droits des femmes: droit de vote et de planifier nos familles en utilisant la contraception et- dans le pire des cas – l‘ IVG.
Aujourd’hui je revendique mon droit à l‘ IVV (interruption volontaire de vieillesse).
En fait , je pars au bon moment. Un peu triste de ne pas pouvoir le partager, ce moment.
Difficile à réaliser, ce planning d’une mort choisie et organisée, comme un mariage ou un baptême. J’aurais pu le faire il y a deux ans, comme prévu. Mais la naissance de mon petit-fils le jour de mon anniversaire a été comme un moment volé au destin. On ne refuse pas ces moments- là. Et puis, la vie a repris son cours malgré le Covid et tout le reste. Je n’osais plus fixer de dates et en même temps, je savais qu’il fallait y aller car je ne rajeunissais pas. Maintenant, je prends cette décision seule et en pleine conscience. Personne ne me pousse à la prendre.
J‘espère que la loi va changer et que d‘autres, après moi, auront la possibilité de partir, entourés de leurs proches, lorsqu‘ils l‘auront décidé et qu‘ils auront atteint l‘hiver de leurs vies.
Devoir se cacher pour mourir, voilà ce à quoi nous sommes réduits si nous refusons de vieillir au-delà du seuil qui nous paraît acceptable. Et si nous sommes malades, il faut s‘exiler si nous ne voulons pas finir dans une chambre d‘hôpital, perfusés et ventilés. Infantilisés dans le meilleur des cas et maltraités dans le pire.
Est-ce que quelqu‘un nous demande notre avis? Peut-être que
certains d‘entre nous auraient préféré être écoutés et respectés plutôt
que protégés ?
Tellement absurde d‘interdire un passage doux de la vie à la mort. Tellement absurde de criminaliser les médecins qui accompagnent leurs patients jusqu‘au bout lorsque les patients le leur demandent. Absurde d‘utiliser des verbes comme tuer dans ce contexte. Le verbe euthanasier ne veut rien dire non plus. L‘euthanasie (en grec la bonne mort) ne se conjugue pas. On aide, on accompagne, on embrasse, on sourit en pleurant. C‘est la fin de la vie. A la fois triste et normal.
Il ne me reste qu‘à remercier Le Temps pour avoir hébergé mon blog, ainsi que ma fidèle amie, le docteur Erika Preisig, qui n‘aurait pas hésité à m‘aider si j‘étais allée à Bâle pour mourir.
Merci à mes lecteurs, avec lesquels j‘ai aimé débattre et aux militants de l‘ADMD – France, qui m‘ont accordé leur confiance pendant tellement d‘années. Je vous souhaite à tous de bien profiter des moments, en sachant que si des problèmes se présentent, vous saurez les surmonter. Et que s‘ils deviennent insurmontables et que votre vie n‘ est plus la Vie, que vous puissiez descendre du train au moment de votre choix, sans devoir vous cacher comme des criminels.
Morceaux choisis, extraits de son blog : https://blogs.letemps.ch/jacqueline-jencquel/2022/03/29/rien-ne-passe-apres-tout-si-ce-nest-le-passant/
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