La vie, l'humain, la mort... Liberté de choix

Toute existence suppose une sortie du néant dans la seule perspective d'y retourner un jour. De sorte que l'on peut définir la vie comme ce qui se joue entre deux néants. L'humain de l'homme s'inscrit dans le vivant entre les deux néants. Il n'est pas consubstantiel au vivant mais surgit, puis peut disparaître, dans le processus vital même. Ainsi, quelques heures après sa formation, l'oeuf bien vivant n'est pas humain. Aux chrétiens qui parlent de personne potentielle rétorquons que tout un chacun, bien que mort potentiel est pourtant bien vivant et que de la potentialité à la réalité il y a fort heureusement tout un monde !
Le sperme n'est pas une personne, l'ovule non plus, ni l'embryon. L'humanité surgit dans un homme non pas avec sa forme (humaine) mais avec sa relation (humaine) au monde. Le seul "être au monde" ne suffit pas, le cancrelat lui aussi est "au monde". L'humanité d'un être suppose en lui la capacité à percevoir le monde, à le sentir, l'appréhender sensuellement (avec ses sens). La matière grise doit pouvoir réagir aux stimuli réductibles à deux types : la capacité à ressentir le plaisir et la possibilité d'éprouver la douleur. Scientifiquement cette possibilité anatomique se situe dans la 25ème semaine d'existence du foetus. Voilà la date à laquelle un embryon entre dans l'humain tout en ayant été bien vivant depuis la fécondation.
Ensuite et ce, beaucoup plus tard, l'humanité d'un individu  se définit dans la triple possibilité conjointe d'une conscience de soi, d'une conscience des autres, et d'une conscience du monde, avec les possibilités induites d'interaction entre soi et soi, soi et autrui, soi et le réel.
Envisageons la mort dans cette même optique : selon Épicure la mort n'est pas à craindre car, quand elle est là, on y est plus... tant qu'on est là, elle n'y est pas. De fait elle ne nous concerne en rien. Pour ma part je ne dirai pas en rien  mais elle nous concerne comme idée. De son coté Epictète distingue entre ce qui dépend de nous (et sur lequel on doit agir) et ce qui n'en dépend pas (et qu'on doit apprendre à aimer). Avec cette idée précieuse, on doit pouvoir extrapoler : nous n'avons pas de pouvoir sur le fait d'avoir à mourir un jour, faisons donc avec. En revanche, nous pouvons agir sur la réalité de la mort qui, en vertu du raisonnement épicurien, reste d'abord et avant tout une idée, une représentation. Agissons donc sur cette représentation : elle n'est pas encore là, ne lui donnons pas plus que son dû à son heure. Méprisons-là de notre vivant en activant la totalité des forces qui lui résistent : la vie. Vivons-là pleinement, totalement, voluptueusement.



Le matérialisme conduit à la sérénité. La mort suppose l'abolition de l'agencement de ce qui nous permet de jouir ou de souffrir. Rien à craindre donc de la mort. Sinon c'est avant qu'elle produit ses effets en nous terrorisant à l'idée de ce qui nous attend (cf pouvoir de la religion). Ne présentifions (rendre présent) pas la négativité : le moment venu suffira bien assez. L'essentiel consiste à ne pas mourir de son vivant, donc à mourir vivant. Ce qui est le cas d'un certain nombre de personnes mortes depuis bien longtemps pour n'avoir jamais appris à vivre, donc pour n'avoir jamais vraiment vécu.

De la même façon on doit pouvoir maitriser son droit à la mort. La théologie doit céder la place à la philosophie, le christianisme doit s'effacer pour permettre aux sagesses antiques (stoïciennes et épicuriennes en priorité) de livrer leur cordial (boisson tonique, vivifiante). Ainsi, en faveur de la mort volontaire : la nécessité existe, mais il n'y a aucune obligation à vivre selon la nécessité, on peut choisir de quitter la vie selon son bon vouloir; notre corps nous appartient, et l'on peut en user comme on l'entend; une existence ne vaut pas par la quantité de vie vécue, mais par sa qualité; bien mourir vaut mieux que mal vivre; on doit vivre ce que l'on doit, pas ce que l'on peut; une (bonne) mort choisie vaut mieux qu'une (mauvaise) vie subie.


Michel Onfray, "La puissance d'exister"



Ma contribution à cet article (en plus de retranscrire les mots de M.Onfray) sera de rapporter une histoire vraie puisque vécue dans un entourage relativement proche. 

Mon amie me raconte en larme l'histoire de sa grand-mère récemment décédée : cette dame de 84 ans, veuve depuis de nombreuses années, avait très bien vécu, en forme physiquement, encore capable de profiter pleinement de la vie. A partir de ses 82 ans environ, elle commence à souffrir de petits maux de vieillesse, est obligée de ralentir son rythme, devient plus dépendante. Elle commence alors à dire tout fort qu'elle trouve qu'elle a vécu une vie agréable mais qu'elle ne souhaite pas prolonger une période de déclin qu'elle pressent comme pénible et peut-être longue et inutile. Sur le ton de la semi plaisanterie d'abord puis finalement assez sérieusement elle demande à ses proches et à son médecin d'obtenir une injection qu'on lui ferait en douceur après avoir pu dire au revoir dignement à ses enfants et petits-enfants. Bien sur sa famille ne la prend pas au sérieux et devant son insistance au fil des mois, ils finissent par lui faire prescrire des anti-déprésseurs... 

Personne ne veut entendre sa demande pourtant toute simple : j'ai assez vécu et très bien. Je ne veux pas m'enfoncer dans une vie qui n'en n'est pas une, de torpeur, souffrance, ennuie et dépendance. Aidez-moi à partir quand je le désire et de la façon qui me convient.
Personne n'entend, personne ne veut voir et comprendre.

Cette belle personnalité s'est pendue, seule, à 84 ans, dans son appartement. Pour vivre son choix, plutôt que de mal vivre, elle s'est donné la mort, une mort violente (seule technique possible pour elle surement) sans avoir pu dire au revoir, ni être comprise.

Je me souviens des mots de mon amie qui, bien que très malheureuse, n'en voulait absolument pas à sa grand-mère et ne regrettait qu'une chose : ne pas avoir ENTENDU ses mots et ne pas lui avoir fait ELLE-MÊME une injection en lui tenant la main pour l'aider à vivre son choix (mourir) tranquillement entourée des siens et dans la paix d'une fin de vie digne. 

Commentaire anonyme :
Cette histoire soulève la question de l'implication de la société dans l'accompagnement d'un individu vers une mort choisie et programmée, anticipée sur le "cours de la vie", ce qui peut paraître inacceptable a priori au sein d'un groupe visant à se perpétuer.
Le mystère de la vie nous dépasse tous et il semble logique à ce titre d'instaurer des règles pour la protéger, quitte à entraver le souhait de certains d'en finir prématurément, voire le condamner (comme le fait la religion) ou en faire un état pathologique (comme le fait notre médecine occidentale). Mais ne sommes-nous pas allé trop loin dans la défense de la vie à tout prix ? La vie est-elle sacrée à ce point ? L'autolyse d'un individu qui vise la plupart du temps à mettre un terme à des souffrances que ni Dieu ni personne ne parvient à calmer est-elle à ce point scandaleuse ? Met-elle l'ensemble de la société dite "humaine" en péril ? Si on instituait des lieux de "suicide assisté" procurant une façon agréable de mourir, légale, déculpabilisée, accompagnée par des personnes bienveillantes pour nous permettre d'en finir avec la vie quand bon nous semble, ces lieux seraient-ils assiégés par les foules ? Probablement pas, les pulsions de vie étant de façon générale plus répandues que celles de mort. Ce serait à mon sens un progrès décisif de notre communauté qui se produira j'espère un jour, mais nous en sommes encore loin, prisonniers de dogmes, de tabous, d'interdits, de croyances aveugles, et peut-être surtout manquant d'empathie envers la souffrance des autres, probablement par réflexe "animal" d'auto-protection. L'homme devrait je pense dépasser ce réflexe égoïste, prendre conscience de la singularité des êtres et de certaines situations, de ne pas systématiquement projeter ses propres désirs sur autrui. Ces réflexes bien compréhensibles sont malheureusement entretenus par des intérêts particuliers qui n'ont rien à voir avec la dignité de l'homme et de sa condition. Seule la réflexion sans a priori, donc philosophique, peut permettre de s'en détacher, se distancier, d'accéder à une humanité digne de ce nom, mais avec nos dieux modernes, ce n'est pas gagné ! Lutter contre la souffrance quitte à abréger la vie me semble un progrès, à nous d'en déterminer les conditions. Condamner le suicide, sacraliser la vie au mépris de son contenu me semble indigne d'une humanité qui progresse.






1 commentaire:

Anonyme a dit…

Cette histoire soulève la question de l'implication de la société dans l'accompagnement d'un individu vers une mort choisie et programmée, anticipée sur le "cours de la vie", ce qui peut paraître inacceptable a priori au sein d'un groupe visant à se perpétuer.
Le mystère de la vie nous dépasse tous et il semble logique à ce titre d'instaurer des règles pour la protéger, quitte à entraver le souhait de certains d'en finir prématurément, voire le condamner (comme le fait la religion) ou en faire un état pathologique (comme le fait notre médecine occidentale). Mais ne sommes-nous pas allé trop loin dans la défense de la vie à tout prix ? La vie est-elle sacrée à ce point ? L'autolyse d'un individu qui vise la plupart du temps à mettre un terme à des souffrances que ni Dieu ni personne ne parvient à calmer est-elle à ce point scandaleuse ? Met-elle l'ensemble de la société dite "humaine" en péril ? Si on instituait des lieux de "suicide assisté" procurant une façon agréable de mourir, légale, déculpabilisée, accompagnée par des personnes bienveillantes pour nous permettre d'en finir avec la vie quand bon nous semble, ces lieux seraient-ils assiégés par les foules ? Probablement pas, les pulsions de vie étant de façon générale plus répandues que celles de mort. Ce serait à mon sens un progrès décisif de notre communauté qui se produira j'espère un jour, mais nous en sommes encore loin, prisonniers de dogmes, de tabous, d'interdits, de croyances aveugles, et peut-être surtout manquant d'empathie envers la souffrance des autres, probablement par réflexe "animal" d'auto-protection. L'homme devrait je pense dépasser ce réflexe égoïste, prendre conscience de la singularité des êtres et de certaines situations, de ne pas systématiquement projeter ses propres désirs sur autrui. Ces réflexes bien compréhensibles sont malheureusement entretenus par des intérêts particuliers qui n'ont rien à voir avec la dignité de l'homme et de sa condition. Seule la réflexion sans a priori, donc philosophique, peut permettre de s'en détacher, se distancier, d'accéder à une humanité digne de ce nom, mais avec nos dieux modernes, ce n'est pas gagné ! Lutter contre la souffrance quitte à abréger la vie me semble un progrès, à nous d'en déterminer les conditions. Condamner le suicide, sacraliser la vie au mépris de son contenu me semble indigne d'une humanité qui progresse.